Le bitcoin : l’argent de la révolution, de la déception ou de demain ?
Francis Pouliot a l’air tout jeune et l’est probablement. Mais son parcours est déjà riche d’une expérience immense et sa vision des choses, de la vie, du monde et de l’économie est longuement réfléchie et intrigante.
Cofondateur avec Vincent Gauthier de la compagnie Catallaxy, qu’il vient d’ailleurs de quitter, Francis Pouliot se concentre dorénavant sur Satoshi Portal, une entreprise fintech dont il est le PDG spécialisée dans l’élaboration de services financiers et d’applications basées sur les technologies chaînes de blocs. Il croit avec ferveur au Bitcoin dont la création remonte à 2009.
Le bitcoin, une cryptomonnaie critiquée
Francis Pouliot ne possède, dit-il, que : des bitcoins. Pourtant cette cryptomonnaie est la cible de virulentes critiques et pas de la part des premiers venus du monde de la finance. Le milliardaire Warren Buffet a dit du bitcoin que c’est »de la mort-au-rat au carré ». Jordan Belfort, celui qui a inspiré le film Le Loup de Wall Street, et qui a réellement été condamné à 22 mois de prison, affirme que le bitcoin repose sur la « théorie du plus imbécile ». Ouch ! Les critiques sont sévères mais parfois fondées. Si, à son plus fort en 2017, un bitcoin valait près de 19 000$ CAD, en février 2018, le bitcoin perdait 60% de sa valeur.
Le bitcoin, envers et contre tout
Tout ceci n’inquiète pas Francis Pouliot, un Montréalais branché et qui est loin d’être un jeune premier. Chercheur et analyste en chaîne de blocs, ancien analyste de politique publique et économiste à l’Institut Économique de Montréal (IEDM), Francis Pouliot est titulaire d’une maîtrise des arts en politique publique avec distinction de la King’s College de Londres et d’un baccalauréat en études internationales de l’Université de Montréal.
Et contrairement à Warren Buffet, le bitcoin, il aime ça. Nous l’avons rencontré en ouverture du Startupfest de Montréal, en juillet dernier, alors qu’il y assumait le rôle de maître de cérémonie sur la scène CryptoFest. Le Startupfest Mtl a consacré une journée entière à la cryptomonnaie, pour faire avancer l’étude et la réflexion autour des modèles qu’elle questionne.
Profil d’un homme qui a une vision, filant sur une économie et des technologies à la fois parallèles et nébuleuses.
B.C : Francis Pouliot, qu’est-ce-qui vous a mené au bitcoin?
Francis Pouliot : J’étudiais la politique monétaire et les finances publiques et dans les analyses que je faisais. J’avais souvent une approche très libre marché. Les articles que je publiais ont séduit plusieurs bitcoiners (adeptes du bitcoin). C’est vraiment eux qui sont venus me rencontrer pour me dire que je devrais commencer à écrire sur ça. C’est ce que j’ai fait en tant qu’économiste à l’IEDM. On publiait en 2013, l’une des premières études sur le bitcoin. Je suis tombé dans le trou de lapin, je ne pouvais plus travailler sur autre chose.
B.C : Vous évoluez à travers deux économies qui se jouxtent. Pourquoi est-ce si important pour vous le bitcoin ? Mais aussi nous, néophytes, étrangers de cette économie parallèle? Comment nous l’expliquer et nous convaincre de sa valeur?
F.P : Bitcoin, c’est une mission pour nous. Les gens qui travaillent sur le protocole bitcoin (bien sûr il y a parmi eux des nouveaux venus qui veulent simplement faire un peu d’argent) attribuent plusieurs malheurs de notre société aux monnaies fiduciaires, à la centralisation de la production et d’émission de la monnaie et à son contrôle placé entre les mains de banques centrales et de gouvernements. Ceci induit un grand nombre d’effets pervers dans nos sociétés. Notre objectif est de créer une alternative décentralisée au système de monnaie fiduciaire, aux banques centrales, un système dont on peut sortir quand on veut, tout en participant à l’économie et en ayant un standard de vie normal mais sans utiliser les monnaies gouvernementales.
B.C : Reste que le bitcoin est une monnaie que plusieurs analystes considèrent comme extrêmement spéculative ?
F.P : L’espérance de vie d’une monnaie fiduciaire est d’environ 30 ans. Elles finissent toutes par planter. Il y a un risque dans tout : des actions, des monnaies… bitcoin, oui, est volatile, mais c’est parce qu’il n’a pas de protection. C’est comme si le bitcoin est actuellement en train de se faire donner tous les vaccins de la planète. À chaque fois qu’il y a des problèmes, le système est dynamique, il se réajuste. Donc oui, c’est volatile, mais on estime qu’il y a très peu de chances d’assister à un effondrement systémique du bitcoin. Pour les banques, c’est différent. À court terme elles semblent sécuritaires, mais comme on l’a vu, tout le système bancaire peut tomber du jour au lendemain. C’est arrivé en 2008 et on pense que le crash va être trop gros pour qu’on se remette la prochaine fois.
B.C : Les entreprises du bitcoin donnent l’impression qu’elles se voient comme les chevaliers servants de l’économie mondiale, les nouveaux gauchistes de l’économie. A-t-on raison de les qualifier ainsi?
F.P : Les gens du bitcoin ont tendance à se percevoir un peu comme des explorateurs, des révolutionnaires, investis d’une mission, mais ça transcende la gauche et la droite. On est dans un autre paradigme qui est bâtit autour de la décentralisation. Socio-démocrates opposés au système bancaire ou libertariens qui n’ont aucun problème avec ça. Il y a un peu de tout, dans l’univers du bitcoin.
B.C : Et dans dix à vingt ans ?
F.P : Le bitcoin, selon moi, va devenir une espèce de monnaie réserve qui sera utilisée autant par des institutions financières, que par les gouvernements, ou les banques centrales. Un jour, les gens vont instinctivement réfléchir en bitcoin. Notre objectif est de remplacer les monnaies nationales. À très long terme, il n’y aurait aucune co-existence possible entre le bitcoin et les monnaies nationales. Dans une compétition, il doit y avoir un gagnant. La monnaie c’est comme le langage : en ce moment on a des centaines de monnaies différentes. C’est un système très inefficace. Quand on a créé les monnaies, les gouvernements ont, en quelque sorte, fait une expérience. bitcoin en fait une aussi et jusqu’à présent c’est un grand succès. Cela prendra peut-être plus de vingt ans, mais l’objectif est de faire du bitcoin un standard monétaire international que les gens transigent, comme on le fait aujourd’hui avec les monnaies fiduciaires.
Plus d’informations sur le bitcoin :
• Pour comprendre comment Francis Pouliot a fait la transition, voir l’invitation que le HEC lui a faite.
• Pour le contrepoids, lire Les sept mensonges que les fans du bitcoin croient dur comme fer, dans le magazine Forbes ou encore, cet article dans le Bloomberg Business Week.
• Le doctorant Saifedean Ammous était l’un des conférenciers invités du Startupfest. Son livre The Bitcoin Standard décrit comment le bitcoin pourrait transformer les notions de prospérité et de libertés individuelles dans nos sociétés.
• La compagnie de Francis Pouliot, Satoshi Portal, porte le prénom du père fondateur du bitcoin, Satoshi Nakamoto. Après avoir entretenu pendant des années un épais mystère autour de sa réelle identité, Le Figaro nous apprend que Nakamoto se nomme en fait Craig Wright. Cet entrepreneur australien âgé de 45 ans serait bien sûr, virtuellement richissime aujourd’hui!