Jeu vidéo : au-delà du jeu

49 av. J.-C., Égypte antique. Vous devez venger la mort de votre fils. Mais à travers votre quête et en naviguant dans le monde ultraréaliste du dernier opus d’Assassin’s Creed, pouvez-vous, au-delà du jeu, véritablement apprendre? Est-ce que les jeux vidéos peuvent sensibiliser à une cause, influencer les opinions? Et pourquoi vouloir faire du jeu autre chose?

Apprendre par le jeu vidéo

Peut-on apprendre par le jeu? C’est la question que se sont posée Marc-André Éthier et David Lefrançois, professeurs en science de l’éducation à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec en Outaouais. Ceux-ci ont obtenu la permission d’Ubisoft de faire une recherche sur le nouveau volet intégré à Assassin’s Creed, le Discovery Tour. Avec Maxime Durand, un des historiens en résidence à Ubisoft, ils ont présenté le Discovery Tour le 28 juin dernier lors du festival Games for Change (G4C) à New York. La 15e édition de ce festival était une occasion de réfléchir aux avancées et à l’avenir des jeux « pour le bien » (games for good).

Les professeurs Éthier et Lefrançois ont donc comparé les connaissances déclaratives (retenir des noms, des dates) acquises de quelque 330 élèves du secondaire dans la région de Montréal après une utilisation du Discovery Tour. Les volontaires étaient divisés en deux groupes : le premier faisait la visite virtuelle de la bibliothèque d’Alexandrie durant 12 minutes, alors que l’autre assistait à un cours magistral donné par un professeur d’histoire. Résultats? Alors qu’en prétest le taux de bonne réponse oscillait autour de 20 %, les scores des élèves s’étaient nettement améliorés après avoir suivi le Discovery Tour…. mais encore plus lorsqu’ils avaient reçu un enseignement classique!

Les jeux vidéos restent de bons outils pour l’apprentissage en classe, au même titre qu’un manuel, qu’un roman ou un film, précisent les deux professeurs. « Accompagnés par l’enseignant, les élèves peuvent développer une interprétation de l’époque de création du jeu vidéo, par exemple, et développer les outils de l’histoire », expliquent-ils. Un tel outil peut ainsi permettre de développer l’esprit critique des jeunes.

Il est évident qu’avoir le choix entre le Discovery Tour et le jeu, les étudiants auraient préférés ce dernier. Mais le jeu vidéo à l’extérieur de l’école a peut-être même le potentiel d’engager davantage, croient les chercheurs, et de stimuler un intérêt pour l’Histoire. David Lefrançois se prend soi-même en exemple : « En jouant à Assassin’s Creed : Origin, j’ai vraiment appris quelque chose sur le passé ; j’allais vérifier ensuite ce que je ne connaissais pas. Je n’aurais jamais pu apprendre celles-ci autrement qu’en le vivant. Ça a créé quelque chose, suscité un intérêt pour cette culture-là. »

Sensibiliser et changer

Apprendre en filigrane en jouant est une chose, mais qu’en est-il des jeux qui ont comme but principal de sensibiliser à une cause, susciter l’empathie, ou influencer les comportements? Peut-on sensibiliser par le jeu vidéo ? Tout est une question de contexte, répond Alexia Bhéreur-Lagounaris, qui vient de déposer son mémoire de maitrise sur le jeu à portée sociale. « Quelle était l’intention de départ du concepteur? Dans quel contexte le jeu sera-t-il utilisé? Comment va-t-on le montrer? », explique la fondatrice d’Ablblalab, une entreprise de ludification d’évènements et de conception de jeux à portée sociale.

Alexia Bhéreur-Lagounaris croit que le jeu (vidéo ou non) a le pouvoir d’engager et d’amener des changements chez les gens. « Dans le jeu, tu as la capacité de faire des choix. Tu dois te questionner, et en trouvant la réponse toi-même, ton cerveau s’éclaire (Eureka!), et ça active les circuits de récompense, ce qui fait en sorte qu’on est encore plus engagés », relate-t-elle. « Le jeu est un langage qui engage », résume-t-elle.

Du commercial à la portée sociale

Le designer et producteur de jeu vidéo Jean-Christophe Pelletier, lui, était tellement convaincu que le jeu pouvait sensibiliser les gens qu’il a quitté Ubisoft après 10 ans pour fonder sa propre entreprise, Fougarou. « Le focus à l’époque chez Ubisoft était le divertissement, mais je me suis rendu compte que c’était des valeurs centrées sur la consommation… La naissance de mon garçon a réorienté mes perspectives », raconte Pelletier. Son premier jeu vidéo, Living Samsara, sortira à la fin de l’été. Ce jeu, accessible sur ordinateur ou sur cellulaire, se veut une réflexion sur nos habitudes de consommation. « Je ne veux pas que ça soit didactique. Je veux que les gens aient une révélation personnelle », explique le concepteur. « Les gens peuvent être sensibilisés par un film, un livre. C’est même plus fort pour le jeu vidéo, parce qu’il faut interagir avec le sujet, se projeter dans un univers. Il y a un potentiel de rendre ça vraiment personnel », ajoute Pelletier.

Une des clés pour provoquer la réflexion réside dans le design, croit Alexia Bhéreur-Lagounaris. La rencontre entre le designer et l’organisme commanditaire est primordiale, assure-t-elle : « Si tu veux toucher les gens, tu dois laisser l’artiste sublimer le message ». Toucher, mais sans culpabiliser, ou immobilier, précise-telle. « Les jeux qui promeuvent une cause sociale ont parfois tendance à mettre en avant-plan leur message. Mais prêcher la bonne parole est contradictoire au langage du jeu, qui vise plutôt une appropriation du message. Ça revient à faire du “design aimable” : respecter la part de liberté du joueur », conclut-e-elle.

Alexia Bhéreur-Lagounaris observe une multiplication des jeux à portée sociale, grâce notamment aux développements technologiques et des plateformes comme Scratch, qui permettent de créer des jeux très facilement. Malheureusement, certains jeux utilisent un vernis de portée sociale pour finalement leur permettre de faire des profits ou de vendre des produits. Comme quoi, tout est une question de contexte et d’utilisation. La boucle est bouclée.

Quelques exemples de jeux engageants

That Dragon, Cancer : jeu autobiographique qui met le joueur dans la peau d’un père au chevet de son fils mourant.

Quandary : un jeu pour les 8-14 ans pour enseigner l’éthique.

Never alone : un jeu coopératif commandé par le Cook Inlet tribal Council qui illustre la coopération humain-nature.

Spent: développé pour sensibiliser à la pauvreté et à l’itinérance

Protéus : un jeu n’ayant pas de visée sociale comme telle, mais qui pour Jean-Christophe Pelletier, fut un déclencheur d’émotions important.

Papers, please: qui met le joueur dans la peau d’un agent d’immigration et présente les choix déchirants auxquels les citoyens de régimes totalitaires peuvent faire face.


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Auteur/autrice

Catherine Couturier
Catherine Couturier est agente de recherche de jour, et journaliste indépendante, rédactrice, et réviseure de soir. Fidèle à sa formation d’anthropologue, elle s’intéresse (entre autres) aux relations entre les technologies et la société. Passionnée de science et de vulgarisation, elle a aussi récemment collaboré aux magazines Affaire universitaire, Forum et au site Alloprofparents.
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